A quel moment une forme devient-elle signe ? A quel moment notre regard laisse place à notre interprétation? Ce questionnement sur notre perception du réel m’intéresse depuis plusieurs années, tant dans ma recherche de plasticien que dans mon rapport au monde. Ma démarche se construit donc à partir de signes graphiques connus, tels que des logotypes, des drapeaux, des panneaux de signalisation... Récoltés dans mon environnement, réel ou virtuel, ces formes que nous avons l’habitude d’interpréter deviennent la matière première de mes créations. En jouant avec, en les fragmentant, les recadrant, les pliant, les retournant, les découpant, je cherche à composer de nouvelles créations concrètes, libérées de toute fonction signifiante. Par ce détournement, je cherche à créer des œuvres à apprécier pour ce qu'elles sont, mais aussi qui questionnent notre manière de regarder ce qui nous fait face. A quel moment ce que je perçoit m'apparait pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il représente?
La démarche de Clément Santos, inspiré par l’abstraction géométrique et l’univers du graphisme, est celle d’un sémiologue. Il ne cesse de s’intéresser à la question du devenir de signes graphiques, logotypes, sigles, drapeaux, panneaux de signalisation routière, enseignes... quand on les a déconnectés de leurs signifiés. Ces objets, initialement conçus comme des signifiants, une fois déchargés de leur emploi fonctionnel, perdent leur rôle de signes et deviennent de simples matériaux qui peuvent se prêter à des opérations de fragmentation, découpage, pliage, collage, retournement, greffe... donnant naissance à de nouvelles entités plastiques autonomes dont le signifié est laissé à la libre interprétation du regardeur.
Cette approche pourrait rester stérile, purement formelle, si Clément Santos ne laissait pas, dans les compositions résultantes, quelques pistes qui ravivent, chez le spectateur, le souvenir du statut initial de leurs composantes. Par exemple, dans sa série des Flags, le titre d’Armgab révèle ses sources : l’hybridation des pavillons nationaux de l’Arménie et du Gabon. Ailleurs, le regardeur retrouvera des fragments de logotypes, dans un contexte autre que celui dans lequel il a pris l’habitude de les voir car, comme le souligne l’artiste : « Nous avons l’habitude de voir ces formes mais nous ne les regardons pas vraiment. C’est la marque qu’elles représentent que nous voyons. »
L’enjeu de ces productions se situe donc dans cet état perceptif fragile, instable, dans lequel la forme peut devenir signe ou, à l’opposé, le signe perdre son sens pour n’être plus qu’une forme, rejoignant en cela le manifeste de l’
Art Concert : « Un élément pictural n’a pas d’autre signification que lui-même, en conséquence, un tableau n’a pas d’autre signification que lui-même. »
Louis Doucet, 2024